La nature, notre objet ou personne morale ? « les arbres doivent-ils pouvoir plaider ? »

07 Fev 2023

Cette question a été posée en 1972 par le juriste américain Christopher Stone(1) dans la première théorie juridique des droits de la nature. Il contestait au nom de la « Mineral king valley Sierra Club » le droit de détruire des séquoias millénaires pour édifier un parc de loisirs Disney.

La question est celle de la domination totale de l’homme, maître et seigneur de la nature, vue comme un objet d’exploitation, devenue surexploitation, menant à terme à la destruction du vivant.

Conférer une personnalité juridique à la nature -ou à un écosystème- lui permet de se défendre contre nos abus en portant le préjudice dont elle est, ou sera, victime devant les tribunaux. Elle n’est plus, de ce fait, l’objet d’une procédure instruite par l’homme mais le sujet disposant ainsi de moyens de défense bien plus importants. Dans le cas de C.Stone(1), il fut débouté par la justice au motif que son action n’était pas légitime car son association ne défendait pas ses intérêts propres. L’échec de la plainte de C Stone a débouché sur l’idée d’octroyer une personnalité juridique aux séquoias (1) La saisine d’un tribunal directement par la nature ou par un de ses éléments a, par ailleurs, toutes chances de mobiliser l’opinion publique et de faire l’objet d’une certaine médiatisation.

La notion de personnalité morale a été conférée aux entreprises au 19 ème siècle. Cette « fiction juridique » peut tout à fait s’appliquer à des éléments de la nature.
L’ idée a maintenant une histoire et commence à se faire jour dans certains milieux préoccupés par la défense de notre environnement.

La reconnaissance de ces droits peut s’appliquer soit à l’ensemble de la nature, soit à certains de ses éléments ou écosystèmes ( lacs, forêts, fleuves …)

Dans les exemples récents, on trouve :

  • L’Equateur, pionnier dans le domaine, où les citoyens se sont prononcés par référendum en 2008 en faveur des droits de la « Pachamama » ( la terre mère) contraignant la justice à refuser les
    permis d’implantation de mines jugées incompatibles avec les droits fondamentaux d’un parc naturel et des espèces qui y vivent
  • La Nouvelle Zélande, en 2014, a attribué par son parlement des droits à des milieux de vie, reconnu la personnalité juridique du parc « Te Uremera » et, en 2017, au fleuve Whanganui
  • L’Espagne – premier pays européen à s’aventurer dans cette voie, a fait voter en 2019 par son sénat les droits de la Mar Menor, lagune d’eau de mer près de Murcie. Cette lagune mourait des pesticides, engrais et nitrates utilisés en très grande quantité pour faire de ce territoire le jardin maraîcher de l’Europe
  • La France , pourtant politiquement opposée à l’idée, a récemment reconnu des droits aux îles Loyauté ( Nouvelle Calédonie). La récente loi sur les délits d’ « écocides » de 2021 sanctionne les atteintes graves et durables à la nature – première étape vers une reconnaissance de ses droits ?

Nous avons une relation d’asservissement patrimonial à la nature, seulement considérée comme ressource productive et exploitable sans limite. Cette façon de nous positionner au sommet de la pyramide du vivant nous conduit à oublier que la protection de droits fondamentaux des droits humains passe par la préservation des milieux de vie et des autres espèces.

Le but de la démarche de reconnaissance morale n’est pas d’opposer les droits humains à ceux de la nature mais de trouver un juste équilibre favorable à tous. Jusqu’où ne pas aller trop loin ?
Les opposants – très majoritaires à ce jour – à cette idée mettent en avant le risque de paralysie économique, de rejet de tout projet industriel et une atteinte grave à la liberté des agriculteurs, propriétaires de terrains ou exploitants touristiques. Ils n’ont pas forcément tort . Comme toujours, la vérité n’est pas absolue – pour autant qu’elle existe …

Mais, pourquoi ne pas faire confiance à nos démocraties, à notre culture du droit, aux justes avancées sociétales et à notre capacité à trouver les équilibres-garde fous » ?

En Espagne, dans le cas de la Mar Menor, la composition des gardiens de la lagune est tripartite :
les représentants du gouvernement et des citoyens, nommés pour un an, chargés de représenter la lagune en justice – les représentants de la vie économique : tourisme, agriculture, pêche, associations de quartier… – un comité scientifique chargé d’évaluer la santé de la lagune et de conseiller sur sa restauration. Et ça marche !

En Nouvelle Zélande les gardiens du fleuve Whanganui » sont à égalité, un Maori pour un représentant du gouvernement

En Equateur, tout citoyen peut agir contre un projet contraire aux droits de la nature
Dans aucun de ces cas, scrutés de très près par les médias, les instances gouvernementales et les opposants au principe il n’a été noté de dérives, d’exagérations ou de conflits nuisant sérieusement aux activités humaines.

Faisons confiance à notre justice, à des juges spécialement formés et décidant collégialement en toute conscience des priorités : ils peuvent ordonner la destruction d’une maison pour rendre son lit à une rivière – évitant une nouvelle inondation en cas de crue – et, le lendemain, autoriser EDF à refroidir ses réacteurs nucléaires en cas de sécheresse et canicule même si cela doit réchauffer le fleuve et décimer les poissons.

Pour aller plus loin et faire preuve d’imagination, on pourrait peut-être travailler à un nouveau statut juridique, complétant la liste actuelle : choses- humains- personnalité morale par une quatrième notion juridique dédiée à la nature ?

G.Suchet 31/01/2023

(1) Christopher Stone – cf la réédition de « le passager clandestin – les droits de la nature » « Le Pommier » par les juristes de l’association
« notre affaire à tous »

Références et sources pour cet article – à consulter pour approfondir la question :

  • Sophie Gosselin – « la condition terrestre, habiter la terre en commun » Editeur Seine
  • Erena Ranginarie Omaki Ransfield Rhőse – Nouvelle Zélande – « groupe harmonie avec la nature »
  • Laurent Neyret – professeur droit et environnement
  • Marie-Angèle Hermitte – juriste
  • Corinne Lepage – ancienne ministre – avocate
  • Marie Calmet -avocate – ONG « Wild Legal »