Nucléaire, russie, notre forte et discrète dépendance

12 Dec 2022

On parle du gaz, du pétrole, du charbon mais pas de notre dépendance à la Russie en matière d’énergie nucléaire.

Rosatom, créée en 2007 par V .Poutine pour regrouper toutes les activités nucléaires des secteurs publics, militaires et privés, est un mastodonte de 300 entreprises impliqué dans plus de 50 états et la quasi totalité des pays nucléarisés, dont la France. Sur près de 440 réacteurs nucléaires dans le monde, 80 sont de conception russe ( VVER *) mais, surtout, Rosatom est fortement impliquée dans toute la chaîne d’approvisionnement, de livraison d’unités clés en main, de transformation, de conversion*, d’enrichissement*, de retraitement*, d’expertise…

Malgré la guerre en Ukraine, échappant à toute restriction, contrainte ou sanction, l’activité nucléaire russe continue de prospérer. Selon le « World Nuclear Industry Status Report » sur 53 réacteurs en cours de construction en 2022, 20 sont russes, dont 17 hors de Russie. Actuellement des projets sont signés avec la Turquie, l’Egypte, l’Inde, le Kirghizistan, la Hongrie pour 34 unités et 140 milliards de dollars.

La Russie fournit 25% des besoins en uranium naturel des 93 réacteurs américains, 20% de l’UE et contrôle la totalité de la circulation du deuxième fournisseur : le Kazakhstan – donc près de 45% de nos approvisionnements français dépendent de la Russie.

Rosatom représente également 25% du marché européen de la conversion* et 31% de celui de l’enrichissement*. La France a opté pour le retraitement * de l’uranium et Rosatom détient avec son usine Seversk de Tomsk en Sibérie, la seule unité en mesure de recycler l’uranium issu des combustibles utilisés dans ses 56 réacteurs. En cas d’arrêt de ces échanges avec la Russie, l’uranium issu des combustibles usés serait à considérer comme un déchet à gérer et non une matière réutilisable – et voici donc un sérieux problème environnemental de plus.

A l’avenir ? Les réacteurs dits de 4 ème génération ont besoin d’uranium enrichi de près de 20% que seule la Russie est en mesure de fournir à ce jour. On voit donc que notre dépendance porte autant sur la technologie et la capacité industrielle que sur la matière. C’est donc sans surprise mais au prix de quelle amertume et de quels reniements que le combustible nucléaire russe échappe à toute restriction ou sanction. Si des sanctions étaient appliquées il faudrait des années pour disposer de capacités fiables de conversion, d’enrichissement, voire plus basiquement d’expertise, vu notre inertie dans ces domaines depuis trop longtemps.

La guerre en Ukraine bouscule toutefois les lignes et engage les états et entreprises occidentales à reprendre la main. Orano et Framatome en France, la Suède, Westinghouse aux USA, Urenco anglo-germano-néerlandais lancent des programmes de développement de la filière. Encore faut-il que les états définissent une ligne politique ferme et claire garantissant un retour sur investissement en évitant, par exemple, le retour sur le marché des produits russes à court ou moyen terme.

Winston Churchill disait en Mai 1940 à Neville Chamberlain, qui refusait l’entrée en guerre de l’Angleterre, « vous aviez à choisir entre la guerre et le déshonneur : vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre ». Ne devrions nous pas nous inspirer de cette remarquable vision, de l’histoire, de l’évidence des trahisons et reniements stratégiques, systématiques des despotes comme V.Poutine pour, enfin, prendre notre destin en main et affronter collectivement les moments difficiles mais surmontables qui en découleraient ? 

G.S 10/12/2022

* voir lexique

Lexique :

Uranium naturel : principaux fournisseurs : Russie, Niger, Kazakhstan, Ouzbékistan, Australie,
conversion et enrichissement : l’uranium naturel doit être converti en hexafluorure d’uranium, puis enrichi ( augmenter sa teneur en isotope 235) pour devenir un combustible utilisable.

Uranium de retraitement : En France, on retraite, en séparant les éléments combustibles usés pour en extraire des matières valorisables ( uranium et plutonium) et conditionner les déchets restants. On appelle « uranium de retraitement » l’uranium issu de ces combustibles.

Déchets radioactifs : il s’agit des résidus sans aucune utilisation ultérieure, contrairement aux matières radioactives

Réacteurs VVER : réacteurs à eau sous pression ( parc français) développés en Russie( « acronyme russe pour « water-cooled, water-moderated, energy reactor)

Sources :

  • Mark Hibb, spécialiste politique nucléaire au « Carnegie Endowment for International Peace »
  • Marc Antoine Eyl-Mazzega, directeur du centre énergie et climat de l’institut français des relations internationales
  • Paul Dabbar, ex secrétaire adjoint du ministère américain de l’énergie
  • Phuc-Vinh Nguyen, expert à l’institut Jacques Delors
  • Pauline Boyer, chargée de campagne transition énergétique et nucléaire Greenpeace
  • Marjorie Cessac et Perrine Mouterde, Le Monde